Faut-il tourner les répétitions ?

La grande question depuis l’arrivée du numérique sur les plateaux en lieu et place de l’argentique… Faut-il tourner les répétitions ?

La réponse n’est pas si évidente… Remontons un peu dans le temps et rappelons briévement la transition au numérique.
pelliculeIl y a une quinzaine d’années, le premier long métrage de cinéma au monde, tourné en numérique, était français : Vidocq de Pitof (2001) avec Gérard Depardieu. Un prototype de caméra Sony fut utilisé (format HDCAM initié par Georges Lucas pour Star Wars) dont le rendu fut mitigé pour beaucoup au delà de la qualité scénaristique du film… Les caméras numériques professionnelles sur un plateau restent exceptionnelles.

Aux alentours de 2005, elle commencent à se faire une petite place en France mais surtout aux Etats-Unis, la Genesis de Panavision qu’utilisa l’américain Bryan Singer pour la première fois sur Superman Returns (2006) ou encore Michael Mann sur le tournage de Collatéral (2004) avec la Viper de Thomson. Des caméras à la définition 2K (2048 par 1080).

Entre 2008 et 2010, Les fabricants Red et Arri arrivent sur le marché du numérique avec respectivement la Red One et l’Alexa comme fers de lance. Avec eux et bien sur Aaton dans une moindre mesure (un fabricant français), le numérique devient prépondérant. En 2012, Kodak (fournisseur centenaire de pellicule argentique) fait banqueroute… Le numérique devient incontournable.

Arri Alexa

Arri Alexa


Quels changements pour tous ?

Les caméras sont encore plus légères (pour certaines), la fiabilité s’est accrue et les coûts se sont réduits. Sans parler du confort qu’apporte le numérique en post-production (Montage, VFX, étalonnage…) !

Mais qu’est ce que cela a changé pour l’assistant réalisateur ?

Pas grand chose si on ne parle pas encore du sujet qui peut agacer certains. Les caméras se rechargent plus vite et rebootent, buggent même parfois comme des ordinateurs, les magasins ne bourrent plus, la pellicule ne décroche plus et le blimp a disparu. Ah si, on ne demande plus à faire vérifier la fenêtre d’impression pour le fameux poil : « Check the gate » !! :)

Nous y voilà ! Le changement notable, apporté par le numérique sur le plateau pour l’équipe technique et les comédiens, est le tournage des répétitions.

En effet, aujourd’hui, le support n’est plus un « souci » comme à l’époque de l’argentique. Dans le temps (ça y est, je prends mon coup de vieux), le support pellicule était précieux, cher en clair. On répétait plusieurs fois et on ne tournait que quelques prises dans l’absolu.

Un petit exemple encore persistant de cet héritage consiste toujours à faire l’annonce du clap après le moteur son et avant le déclenchement de la caméra pour le clap lui-même. Cela permettait d’économiser quelques mètres de pellicule par jour…

De nos jours, la plupart des réalisateurs qui débutent ou non, en court comme en long, aiment de plus en plus tourner directement un plan sans répéter. Ceci souvent sous l’impulsion du chef opérateur, d’un comédien ou encore d’eux mêmes…

Ils se disent généreusement que la première prise est souvent la bonne pour les comédiens, ce qui peut être vrai, mais ils en oublient certains rudiments techniques et artistiques.

A quoi et à qui sert une répétition ?

– A faire des points (assistant caméra).
– A faire des niveaux (ingénieur du son).
– A faire et tenir un bord cadre, surtout à l’épaule (perchman).
– A répéter un mouvement d’appareil, une mécanique (machiniste, cadreur).
– A caler la figuration (assistant réalisateur).
– A régler un petit SFX (accessoiriste).
– A tenir ses marques au sol pour des placements (comédien).
– A se « mettre dans le bain » (comédien).
– A ajuster la direction d’acteur (réalisateur).

En clair, il y a mille et une bonnes raisons pour faire au moins UNE répétition AVANT de tourner un plan !

Ne pas répéter, c’est prendre le risque statistique de rater la prise.
Pourquoi alors cette manie ? Un savant mélange de pêché d’optimisme et d’incompréhension sur la méthode !?

En effet, bon nombre de réalisateurs ne comprennent pas toujours la nécessité des répétitions. Soit parce qu’ils font un premier film donc par méconnaissance, soit parce qu’ils n’ont pas connu la pellicule et « sa méthode » de travail, soit par « mauvaise » habitude, soit encore par influence (comédien, directeur de la photo… encore une fois).

Souvent, la seule personne qui les rappelle à la raison, en préparation et au tournage, est l’assistant réalisateur. L’opérateur, son premier assistant, l’ingénieur du son ou encore le perchman gardent souvent et discrètement pour eux leurs exaspérations au moment du moteur en prenant soin de dévisager du regard l’assistant qui vient de cautionner la répétition tournée.

Que faire si la pédagogie en amont ne fonctionne pas ?

Et bien, il faut laisser le réalisateur se confronter à cette approche. Vu qu’elle a de trés fortes chances de ne pas fonctionner, il comprendra de lui même et ne reproduira plus son erreur. La preuve par l’exemple comme on dit.
Dans le cas contraire, en fin de journée autour d’un verre (à consommer avec modération :), ne pas hésiter à faire intervenir subtilement l’opérateur ou l’ingénieur du son afin de ne pas rester « seul contre tous ». Si ils ne le font pas d’eux mêmes. Que ces derniers expliquent, à leur tour, la nécessité d’une répétition.

L’assistant est le porte voix de l’équipe technique. Il soutient à la face (sur le plateau) les postes qui ont besoin de répétitions. En retour, lui aussi peut avoir besoin d’un coup de main parfois avec son réalisateur.

Quand peux-t’on se permettre de tourner sans répéter ?

– Pour des plans simples au jeu et à la technique (un homme immobile, assis dans son fauteuil devant la télévision et sans texte… par exemple).
– Pour des plans « magic hours » (cf notre article sur le sujet) où l’enjeu lumière n’est pas forçément renouvelable.
– Avec des enfants ou encore des animaux. Et encore !
– Une scène d’amour entre deux personnages (même si une petite mécanique en peignoir avant est à envisager).

Une fausse bonne idée à retenir en conclusion ? Ne pas répéter pour gagner du temps. Grosse erreur ;) Essayez, vous désapprouverez.

N’hésitez pas à commenter cet article si vous l’avez trouvé utile ou à le compléter en cas d’ommissions ou erreurs de notre part.

Crédit Image à la une : Edgar Degas (1834-1917) – Répétition d’un ballet sur la scène

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2 réponses

  1. Maxime Major Lambert dit :

    Tout à fait contre tourner les répétitions pour tous les arguments cités dans cet article.
    Et pour ce qui est de la légende de « la première prise qui serait meilleure », je ne suis pas du tout convaincu.
    Je crois plutôt que la/les répétition(s) peut/ être meilleure que les prises, pour un raison simple : ce n’est pas une prise.
    Donc, il n’y a pas de pression, tous le monde ne vous regarde pas, et une variation de jeu ou une proposition spontanée est tout à fait acceptable puisque « ce n’est qu’une répétition ». Dans le cas d’une répétition, il y a donc effectivement plus de liberté et donc de spontanéité que lors d’une prise.
    Je dis ça en tant que comédien.
    C’est pour la même raison que plus les prises s’accumulent, plus il est difficile d’obtenir quelque chose de bon : la pression et l’attente (de résultat) augmente, l’équipe s’aggace etc.
    J’ajouteris que sans répétition, le comédien avance « à l’aveugle ». Après une répétition satisfaisante, il sait ce qu’il/elle doit reproduire/retrouver comme sensation/émotion.
    Sans répétition on entre dans le cercle infernal des ajustements toujours différents, et au final, on perd souvent le fil de ce que l’on voulait au départ.
    Donc oui, on fait une répétition, même plusieurs si il faut, jusqu’à obtenir ce que l’on veut.
    Je crois vraiment que c’est du temps de gagné. Et de la fatigue de techniciens économisée.

  2. Mathilde Dusseau dit :

    Comme tu l’évoques plus haut, les premières prises sont souvent les meilleurs aux jeux, c’est un fait que nous avons tous déjà pu constater. Néanmoins, si les répétitions sont présentées comme telles et non comme « filmées » (ce qui confère une certaine pression), les comédiens peuvent perfectionner leurs actions en même temps que la technique sans s’épuiser (un risque à ne pas prendre, surtout lors des scènes délicates pour eux). Cela permet plus facilement d’atteindre une prise ou la technique et le jeu atteignent leur paroxysme. Vive les répétitions ! :)

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