Petit traité de CLAPologie

Objet iconique du cinéma, le clap est présent sur tous les tournages. Il est bien connu du grand public mais sa fonction et son utilisation méritent qu’on s’y attarde. Ne serait-ce que pour faire mentir les néophytes qui s’amusent volontiers du rôle du « gars qui fait le clap » !

J.-P. Belmondo, Bourvil et Gérard Oury sur le tournage de « Le Cerveau »

À quoi ça sert ?

 Le clap regroupe deux fonctions distinctes : identification et synchronisation.

  • L’identification des plans.

Avec une moyenne de 1000 plans pour un long métrage d’une heure trente ou 400 plans pour un épisode de série de 26 minutes, il est indispensable de pouvoir les identifier clairement quand la post-production commence. De plus, le rapport montage rédigé par la scripte permettra de repérer rapidement quelles sont les prises sélectionnées par le réalisateur lors du tournage. On parlera de prises « cerclées » ou « à tirer ». Le deuxième vocable, plus rare, est issu de l’époque des tournages sur support argentique. On ne faisait tirer par le laboratoire que les bonnes prises afin de réduire les coûts de post-production. Cette contrainte a disparu avec le numérique, mais l’identification des prises permet de réduire le temps de dérushage et de synchronisation. Ce qui nous amène à la deuxième fonction du clap !

  • La synchronisation de l’image et du son

Cette opération consiste à regrouper image et son dans un logiciel de montage. En effet, le son est enregistré sur un support séparé*. Le chef opérateur du son gère les différentes pistes audio (fournies par les micros « perche » et « HF ») sans que ces informations ne passent par la caméra. On pourra cependant choisir d’enregistrer un son témoin directement sur la caméra (avec un micro dédié) pour avoir une sécurité supplémentaire pour la synchronisation. Dans une configuration normale, l’assistant monteur fera coïncider le claquement entendu au son avec celui visible à l’image pour obtenir une synchronisation parfaite entre les deux pistes. A noter que les claps numériques permettent depuis quelques années d’afficher un « time code » synchronisé avec celui de la caméra et de l’enregistreur audio. Cela permet en théorie de synchroniser image et son grâce aux métadonnées de time code. Cependant cette technologie n’étant pas infaillible, il est plus prudent de continuer à claper comme on le ferait avec un clap traditionnel.

* Cette habitude trouve son origine dans les contraintes liées à l’argentique. Il était techniquement possible d’enregistrer le son sur une piste magnétique intégrée à la pellicule, mais la qualité de son était alors inférieure à celle d’un support séparé. De plus, la tête de lecture son ne pouvait pas apparaître dans la fenêtre du projecteur et était placée juste après, ce qui obligeait à décaler la piste son de 18 à 28 images. Il y avait alors un risque d’éliminer la fin d’un dialogue en coupant l’image au montage.

Le clap peut avoir d’autres utilisations. Dans certains cas, notamment en basse lumière, les rayures noires et blanches du clap peuvent aider le 1er assistant OPV à faire le point. Il demandera alors avant le lancement du moteur à ce que le clap soit situé à côté du visage du comédien filmé, à hauteur de ses yeux. Sur certains claps les rayures sont colorées pour aider à l’étalonnage.

Le modèle de clap le plus courant en France / Le modèle l’américaine (avec barre en haut) et time code intégré


Quelles sont les informations à faire figurer sur le clap ?

Sur le modèle de clap le plus utilisé en France, on va inscrire (les machinistes diront « charbonner ») les indications suivantes :

  • Date
  • Effet : Jour ou Nuit sont déjà indiqués, on masquera donc la mention inutile avec un morceau de gaffer
  • Intérieur/Extérieur (le meilleur endroit pour l’indiquer étant le morceau de gaffer évoqué ci-dessus)
  • Production
  • Titre du film ou de la série (on indiquera alors le numéro de la saison et de l’épisode)
  • Réalisateur
  • Directeur de la photographie
  • Numéro de séquence/numéro de plan : le troisième plan de la première séquence sera ainsi noté 1/3. Dans le cas d’une série, le numéro de l’épisode sera ajouté au début. Si le plan appartient à l’épisode 24, notre exemple devient donc 2401/3. Le système de numérotation est décidé par la scripte.
  • Numéro de prise : on commence à 1 et on incrémente le chiffre à chaque nouvelle prise.

La numérotation des plans

Vaste sujet ! A la différence du système français détaillé ci-dessus, le système à l’américaine va remplacer le numéro de plan par une lettre (le plan 1/3 devient alors 1C), voire numéroter tous les plans dans l’ordre du tournage du premier au dernier jour, sans référence à un numéro de séquence. Alice Maurel évoquait ces différences dans un entretien ARA :

« Chaque plan tourné est numéroté sur le rapport de la scripte. C’est elle d’ailleurs qui décide du clap qu’elle donne au machiniste ; l’ « identif » dans le jargon (ex. : 1/3 1ère). A l’américaine, on numérote dans l’ordre du tournage (1,2,3…). A la française, on numérote dans l’ordre du montage, mais il faut un découpage précis, établi en préparation ou avant de tourner une séquence en tout cas. Ceci facilite le travail du monteur ».

Des informations complémentaires peuvent être ajoutées dans la case réservée au numéro de prise.

    • On peut par exemple indiquer les plans filmés au ralenti ou en accéléré. On écrit alors le nombre d’images par seconde utilisé, suivi de la mention i/s (images/seconde) ou fps (frames per second).
    • S’il s’agit d’un tournage à plusieurs caméras, leur nombre peut être indiqué. Si elles ont chacune un clap dédié, on précise la lettre ou le numéro de la caméra concernée.
    • Il est également possible de mentionner si le plan est muet. Il n’y a pas de convention particulière pour l’indiquer, contrairement aux tournages anglo-saxons où l’on inscrit la mention « M.O.S. » (les théories sur la signification de ces initiales sont expliquées ici).
    • Il peut arriver qu’une prise soit majoritairement bonne avec juste un petit incident (une réplique ratée par exemple). On ne retourne alors qu’un « pick-up », c’est-à-dire la partie de l’action qui a posé problème, afin de gagner du temps et ne pas fatiguer inutilement les comédiens. On indique dans ce cas « P.U. » à côté du numéro de prise.
    • En cas de tournage d’une pelure destinée aux effets spéciaux, on pourra le préciser avec les lettres FX.
    • Le numéro de la carte mémoire présente dans la caméra peut également être indiqué.

Les numéros de plan et de prise sont inscrits avec un marqueur non-permanent, facilement effaçable. Pour toutes les autres informations (celles qui ne changent pas pendant au moins une journée), on préférera les inscrire au feutre permanent sur des morceaux de gaffer découpés à la bonne taille.

Un exemple de clap sur une série française « low-cost ».


Qui s’en occupe ?

En France le clap est fourni par le chef machiniste et c’est un membre de son équipe qui le gère. La bijoute machinerie comportera normalement plusieurs claps, dont une version miniature destinée aux gros plans.

Sur des tournages légers sans machinerie, c’est au 1er assistant réalisateur qu’incombe ce rôle, le clap étant alors fourni par la production. Cela peut être le cas sur certains courts métrages ou séries à bas coûts.

Dans les cas où l’équipe machinerie n’a pas de gros effectifs, le chef machiniste pourra demander au 1er assistant réalisateur de s’occuper du clap sur certains plans pour gagner du temps. Cela peut par exemple être le cas lors d’un mouvement de dolly qui occupe tous les machinistes.

Sur les tournages anglo-saxons le clap est la responsabilité du 2e assistant OPV.


La « chorégraphie » du clap

Quand l’équipe est prête à tourner un plan, le 1er assistant réalisateur demande le silence. Une fois le silence obtenu, l’enchainement typique est le suivant :

– 1er assistant réalisateur: « moteur demandé »
– Chef opérateur du son : « tourne au son » (ou tout simplement « tourne »)
Le clap est présenté ouvert.
– Cadreur ou 1er assistant OPV : « annonce » ou « clap » (pas systématique)
– Personne qui clape : « x sur y première » (et éventuellement « 2 caméras », « caméra A », « pick-up » ou autre selon les circonstances)
Le clap est claqué.
– Cadreur : « cadré ! » (pas systématique)

Et en anglais ?
Il existe de nombreuses variations selon les pays et les équipes. Voici une des versions possibles pour l’utilisation du « slate ».

– 1er assistant réalisateur : « Picture’s up» ou « quiet please » puis « Roll sound, roll camera »
– Chef opérateur du son : « Speed »
– 1er assistant OPV : « Rolling »
Le 2e assistant OPV clape, fait l’annonce et finit par « Mark »
– Cadreur ou 1er assistant OPV : « camera set »

Sur les productions françaises il est le plus souvent demandé de claquer la barre et la rouvrir immédiatement, afin que celle-ci ne soit en contact avec le clap que sur une seule image. Sur les productions anglo-saxonnes, le clap est conçu avec la barre en haut. Celle-ci est claquée vers le bas et n’est jamais remontée, ce qui permet à l’assistant monteur de savoir si le claquement se trouve en amont ou aval sur la timeline. Ici encore, le débat est ouvert.

Une fois le clap effectué, il ne reste plus qu’à quitter le champ au plus vite. Ce temps sera mis à profit par le perchman pour se recaler (la perche s’étant rapprochée du clap pour bien capter l’annonce) et par l’assistant OPV pour recaler le point à l’endroit prévu au début de l’action. Quand le cadreur a annonce « cadré », le réalisateur peut lancer l’action. Il est possible dès cet instant de changer le numéro de prise sur le clap afin d’être prêt pour la prochaine. Il faut juste se rappeler qu’on l’a fait, ce qui n’est pas toujours évident ! En cas de doute la scripte saura donner le bon numéro de prise à venir.


Les cas particuliers

 La séquence décrite ci-dessus est la plus courante, mais il y a bien sûr des exceptions.

  • « Tourne toujours » : il peut arriver que l’action soit interrompue par une indication du réalisateur, un dialogue erroné, un élément indésirable dans le champ ou tout problème technique qui peut être résolu très rapidement. Dans ces cas-là il peut être préférable de ne pas couper pour garder l’énergie du moment et gagner du temps. Le 1er assistant annonce alors « tourne toujours » et le réalisateur indique à quel dialogue il veut reprendre avant d’annoncer de nouveau « action » sans que le clap ne soit mobilisé à nouveau. Dans le rapport montage ces deux actions seront considérées comme une seule prise.

  • Le clap de fin : il est destiné à gagner du temps en début de plan. On l’utilise par exemple quand le clap ne peut pas être filmé dans la valeur de début, ou si cela oblige à une longue remise en place une fois qu’il est sorti du champ. Afin de ne pas trop allonger la prise, on relègue alors les éléments d’identification à la fin du plan. L’enchainement va donc se réduire à « moteur demandé », « tourne au son », éventuellement une annonce vocale pour aider le monteur à identifier le fichier son dès le début, et « action ». Quand la prise se termine, le réalisateur, absorbé par le jeu des comédiens, demande souvent de couper. C’est là qu’il faut immédiatement annoncer « clap de fin ! » avant que la caméra (ou le son) ne soient coupés par simple réflexe. Peut-être que vous le crierez à l’unisson avec l’assistant OPV et l’ingénieur du son, mais il vaut mieux faire trois fois la même annonce plutôt que de couper la caméra avant le clap. On présente alors le clap la tête en bas. On clape généralement avant l’annonce, afin de pouvoir couper la caméra plus tôt (ce qui est conseillé pour les tournages en argentique), l’annonce n’étant alors enregistrée que sur la piste son. NB : même s’il y a eu une annonce en début de plan, il faut la refaire au moment du clap de fin.

  • Les plans muets : on parle dans ce cas d’une simple identification, ou « identif » dans le jargon du plateau. Le clap est présenté fermé, sans annonce, en début de plan. Certains plans muets peuvent être difficiles à mettre en place : un insert sur un téléphone portable est souvent délicat avec les reflets à gérer sur l’écran. Dans ce cas on préférera faire une « identif de fin » avec le clap fermé, la tête en bas.

  • Les plans muets en publicité : en l’absence de scripte, la numérotation des prises n’est pas forcément indispensable en cas de plan muet. On pourra éventuellement décider de n’identifier que la première prise de chaque plan, en indiquant « série » à la place du numéro de prise. Comme cette pratique peut ralentir la post-production, il faut que les personnes impactées (réalisateur, monteur…) soient d’accord.

  • Les plans muets à très haute vitesse : là encore, ce cas se présente surtout en publicité. Certains plans de SFX peuvent nécessiter un tournage à 1000 images/seconde. Afin de fluidifier le tournage et alléger la post-production, on se passe alors complètement d’identification. Les trois secondes consacrées à filmer l’identification généreraient en effet 3000 images inutiles, qui nécessiteraient deux minutes de relecture à 25 images/seconde (et il y a toujours des relectures sur ce type de plan dans lequel l’action est presque invisible à l’œil nu pendant la prise).


Conseils pratiques si vous avez la responsabilité du clap

  • Ne brûlez pas les étapes ! Quand on débute, il n’est pas rare de vouloir aller trop vite et de débiter l’annonce et claper dès qu’on entend « tourne au son », alors que la caméra ne tourne pas encore. L’annonce peut éventuellement se faire alors que la caméra ne tourne pas encore (c’est même conseillé sur les tournages en pellicule afin d’économiser ce précieux support), mais le clap ne peut bien sûr se faire que si la caméra tourne. Si l’équipe image n’annonce pas « clap », on prendra soin de vérifier que le rouge est allumé sur la caméra, et/ou on cherchera du regard l’approbation du cadreur ou de l’assistant OPV avant de claper (ce n’est pas toujours facile). Il peut y avoir de légères différences de pratique d’une équipe à l’autre, mais tout le monde sera rodé au bout de quelques prises. Si la caméra a raté le clap, pas de panique, il suffit de claquer à nouveau la barre suivie de l’indication orale « deuxième clap ».

  • Si le clap se trouve près du visage d’un(e) comédien(ne), il est conseillé de claquer la barre avec douceur, le bruit pouvant être assourdissant à courte distance.

  • Sachez toujours où votre clap se trouve ! Il n’est pas rare de le poser pendant une prise sans y penser et de le chercher en panique au moment de demander le moteur.

  • Pour éviter de chercher en plus le marqueur (ou le « charbon »), on peut fixer son bouchon au dos du clap avec du gaffer afin qu’ils restent toujours ensemble. Si le clap est fourni par le chef machiniste, demandez quand même sa permission. De plus, on peut fixer un tampon effaceur (vendu chez les loueurs de matériel) au bout du feutre. Si nécessaire un simple patin en feutre destiné aux chaises peut s’y substituer. Ces astuces permettent d’effacer les informations rapidement et proprement (non, ça ne marche pas bien avec les doigts).

  • Protégez-le de la pluie ! Il est très difficile d’écrire sur un clap mouillé, et impossible d’y effacer les indications proprement.

  • Prenez-en soin ! Malgré leur prix relativement élevé, les claps sont fragiles et s’abiment facilement quand on les fait tomber au sol, voire pire quand on marche dessus ! Vous n’avez pas envie de rendre un clap fendu en deux au chef machiniste en fin de journée. Il en va de même quand le clap est fourni par la production. Sur un tournage à bas coût aux cadences particulièrement intenses, une production avait été jusqu’à indiquer au dos du clap la date d’achat afin de sensibiliser les assistants à être plus soigneux ! Ils étaient en effet inutilisables au bout de quelques semaines.


Et si vous n’avez pas de clap ?

Cela peut arriver en cas de casse, ou tout simplement de manque de moyens. Mais il y a toujours des solutions de secours !

  • La méthode la plus rudimentaire est simplement de faire l’annonce vocale et claquer ses mains à l’image. Cela permet de synchroniser le son mais ne donne pas d’identification visuelle.

  • On peut également avoir recours à des applications sur smartphone ou tablette. Celles-ci permettent de rentrer les informations d’identification au clavier et de simuler un clap. Sur No Budget Slate, on clape en « swipant » l’écran latéralement. Sur Digislate, ce sont les boutons de volume qui déclenchent le clap. DSLR Clapperboard permet de rentrer les informations du rapport montage, le clap se faisant en touchant juste la barre sur l’écran. Timecode Buddy permet quant à lui d’afficher un time code synchrone avec les appareils compatibles en wifi. Et il y en a bien d’autres ! Ces applications sont généralement disponibles gratuitement en version basique, les options avancées étant payantes.

L’interface de DSLR Clapperboard (Daniele Morelli)


Autres utilisations

Cet article ne serait pas complet sans mentionner le célèbre Schnaps clap. Lorsque la numérotation n’aligne que des chiffres identiques, par exemple : Séquence 33, plan 3, prise 3, il est de coutume d’annoncer l’identification du plan suivie de « Schnaps clap ! ». Et la personne qui clappe désigne qui va payer son coup à boire à la fin de la journée. Ca peut-être une personne ou un département. Nous n’avons pas trouvé l’origine exacte de cette tradition. Si toutefois vous avez des pistes, vos sources seront bienvenues en commentaire.

Une dernière utilisation du clap, heureusement extrêmement rare. Quand un décès survient sur un tournage, le clap peut devenir un symbole pour exprimer la solidarité de l’ensemble de la profession. Ce fut le cas pour Sara Jones en 2014 (voir notre article consacré à cet accident ici). De même, les équipes de tournage françaises ont honoré les machinistes victimes d’un terrible accident de la route en marge du tournage de Qu’est-ce qu’on a tous fait au Bon Dieu ? en 2021.

L’hommage rendu par la profession à Morvan, Milo, Hervé et Tim.


Nous espérons que ces quelques lignes vous en auront appris un peu plus sur le rôle essentiel du clap !
N’hésitez pas à nous faire part de vos astuces ou pratiques différentes en commentaire.

Crédits photos : couverture Indiana Jones (Paramount Pictures/Lucas Films), Le cerveau (Gaumont), Clap FR (Cinéboutique), Clap US (Matt Bachelor), Clap Low Cost (Olivier Bizet), Claps hommage (Boubette LCx Facebook)

Olivier Bizet

1er et 2e assistant réalisateur sur séries et publicités depuis 2014, après une première vie dans le cinéma d'animation (assistant réalisateur, directeur de production, line producer).

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