Interview d’Alice Maurel, scripte cinéma

Scripte depuis deux ans maintenant, Alice Maurel a travaillé auparavant sur plusieurs films en tant qu’assistante scripte comme « Lucy » de Luc Besson ou encore « La Vérité si je mens 3 » de Thomas Gilou.

Le rôle du scripte : collaborateur direct technique et artistique du réalisateur. Responsable de la continuité, il veille à sa bonne mise en œuvre auprès des différents départements pendant la préparation et le tournage du film. Il suit le minutage et fait le lien avec le montage et la direction de production.

Charmés par son parcours et son sourire, nous n’avions pas d’autres choix que de lui demander une petite interview autour de son métier et de la relation qu’elle entretient notamment avec l’assistant réalisateur.

Bonjour Alice, peux tu te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Alice Maurel, j’ai 28 ans. Je suis sortie du Conservatoire Libre du Cinéma Français (C.L.C.F.), il y a maintenant 6 ans. Une école privée dans le 19ème arrondissement de Paris qui possède une formation scripte reconnue par l’état, enseignée par Marie-Florence Roncayolo. Je me suis spécialisée en troisième année dans ce domaine.

As-tu des regrets sur cette formation ? N’as-tu pas eu envie de commencer sur le terrain directement comme beaucoup dès la seconde année ?
Je me suis parfois posé la question mais je dirais plutôt non. Cela m’a permis de rencontrer des personnes déterminantes pour la suite n’ayant pas de contacts en arrivant à Paris. Cette formation qualifiante au métier de scripte et d’assistante scripte m’a permis d’aborder par la suite les plateaux de manière plus sereine et avec des bases solides.

As-tu fait des stages ou eu des propositions professionnelles pendant ta formation ?
Les stages n’étaient pas obligatoires, mais j’ai commencé à en faire dès la seconde année. Grâce aux conventions de stage, j’ai fait de la production puis un peu de documentaire en Belgique afin de pouvoir rapidement me confronter à la réalité du monde du travail. Pas forcément en tant que scripte mais ça m’a permis de voir autre chose.
En troisième année, j’ai poursuivi avec plusieurs stages obligatoires. J’ai terminé mon cursus en étant l’assistante de Joëlle Hersant puis Virginie Barbay sur une série de France 2 intitulée « Contes et nouvelles du 19ème siècle ».

Que s’est t’il passé ensuite ?
Sortie de l’école, je n’étais plus conventionnée. J’ai eu 6 mois sans tournage jusqu’à ce que je croise le chemin d’Elsa Melquioni, jeune scripte à l’époque qui cherchait sa première assistante.
Elle m’a donc permis de faire mon premier long métrage en tant qu’assistante scripte : « La Proie » d’Eric Valette avec Alice Taglioni et Albert Dupontel entre autres et ce, grâce à une convention de stage que j’ai obtenu finalement auprès de la mission locale de mon quartier. Celle-ci n’allant pas jusqu’à la fin du tournage, j’ai été payée comme une vraie assistante scripte les 2 dernières semaines.
De fil en aiguille, j’ai enchainé sur la « Vérité si je mens 3 » de Thomas Gilou après avoir rencontré sa scripte, Marie Leconte. Une belle année 2010 après ma sortie de l’école en 2009.

Ta rencontre avec Elsa Melquioni semble avoir été déterminante. Comment l’as-tu rencontré?
Des amis communs qui lui ont donné mon numéro quand elle était à la recherche d’une assistante.
Nous avons par la suite retravaillé ensemble plusieurs fois. Elle reste, encore aujourd’hui, quelqu’un qui compte beaucoup. De très bon conseil et très rassurante pour la jeune scripte que je suis.

5 ans plus tard, où en es-tu aujourd’hui ?
5 ans après, je commence à faire mes armes en tant que scripte sur de la mini série pour TF1 et des courts métrages produits. Mon dernier long métrage en tant qu’assistante remonte à fin 2013 sur « Lucy » de Luc Besson.

Comment as tu trouvé cette opportunité ?
J’ai rencontré en 2012, une assistante réalisatrice qui m’avait parlé d’Isabelle Querrioux (la scripte de Luc Besson sur ses quatre derniers films). C’est une scripte qui tourne beaucoup, souvent avec des assistantes et qui leur donne une grande place auprès d’elle. Je l’ai donc appelée pour la rencontrer, prendre des conseils puis on s’est vues et nous avons fait le film ensemble.

L’assistant scripte: collaborateur direct du scripte, il le seconde et exécute sous sa responsabilité les tâches que celui-ci lui confie.

Un film de Luc Besson. Le genre de projet qui fait rêver la plupart des jeunes techniciens sortant de l’école. Comment ça se passe sur ce genre de films à gros budget ?
L’ambiance est studieuse. On y parle un peu anglais, mais aussi français. Luc Besson est exigeant envers lui même et son équipe technique. Il est entouré de beaucoup de ses fidèles qui l’accompagnent depuis des années. Il a la particularité (même si ce n’est pas le seul) de cadrer lui-même sa caméra.

Quelles sont les qualités d’un réalisateur envers sa scripte selon toi ?
La confiance et l’écoute. Et cela doit être réciproque bien entendu. Je suis comme une petite voix derrière son épaule qui lui rappelle parfois ce qu’on s’était dit en prépa. Ecoutée et entendue, je recommande et propose. Le réalisateur dispose in fine. L’échange est le plus souvent naturel et plein de bon sens.

Tes rapports avec le directeur de la photographie ? L’ingénieur du son ?
Chef opérateur :
On se découvre dès la préparation du film, notamment autour du découpage sur lequel nous échangeons avec le réalisateur et le 1er assistant.
Sur le plateau, les chef op consultent les scriptes sur des questions d’axe caméra (la fameuse règle des 180°) et de directions de regards. Il m’arrive également de passer par lui et le 1er assistant réalisateur pour avoir une opinion sur un plan, le sens d’une action, avant d’aller embêter inutilement le réalisateur.

Ingénieur du son :
Notre relation se développe surtout au tournage. Les questions d’intelligibilités et de sens des dialogues, les scories pendant le tournage d’un plan comme une nuisance sonore que je consigne sur mon rapport, etc. Je reporte certaines informations son sur mes rapports. Cela permet au monteur d’avoir une vision globale du plan.
Alice scripteTa relation avec le premier assistant réalisateur ?
Je le rencontre souvent en même temps que le réalisateur, car il arrive très en amont dans la préparation. Il répond à de nombreuses questions que je me pose après une première lecture du scénario. Cela m’évite de poser les mêmes au réalisateur. D’être redondante.
En préparation toujours, nous recoupons nos travaux de dépouillement. La scripte détermine le temps diégétique du film, la chronologie et l’indique à l’assistant réalisateur, qui peut toutefois en avoir déjà une bonne idée après son dépouillement. Cependant, c’est la scripte qui la valide avec le réalisateur.
Au tournage, il est un peu moins présent dans la mise en scène, en général pris par la direction du plateau. Quel métier ! :)
Sans desservir le film, l’assistant et la scripte sont parfois en discussion autour d’une fin de journée quand il faut terminer ou poursuivre selon l’enjeu d’une séquence en cours. Nous échangeons beaucoup également sur le sens de ce que nous tournons.

Qu’aimes tu chez un premier assistant réalisateur ?
Qu’il tienne le plateau et sans « gueuler » ! Il sait anticiper, donner les bonnes informations au bon moment… Il est un bon communiquant.

A contrario, que détestes-tu ?
A l’inverse, quand l’assistant ne tient pas son plateau ou lorsqu’il évince parfois la scripte de discutions importantes, par inexpérience, maladresse ou volontairement…

Numérotation des plans à la française ou à l’américaine… tu peux nous éclairer ?
Chaque plan tourné est numéroté sur le rapport de la scripte. C’est elle d’ailleurs qui décide du clap qu’elle donne au machiniste ; l’ « identif » dans le jargon (ex. : 1/3 1ère).
A l’américaine, on numérote dans l’ordre du tournage (1,2,3…). A la française, on numérote dans l’ordre du montage, mais il faut un découpage précis, établi en préparation ou avant de tourner une séquence en tout cas. Ceci facilite le travail du monteur.

Quelle est la première chose que fait une scripte quand elle arrive en préparation sur un film ?
Un pré-minutage. C’est une estimation de la durée du film une fois monté. Je lis le scénario, j’échange avec le réalisateur idéalement et je pré-minute.
C’est primordial car en fonction de son style de mise en scène, je peux être plus précise dans mon évaluation. Le pré-minutage est un document très important pour les producteurs et le premier assistant. La production peut être alertée sur une durée trop longue pour le film, donc plus cher à financer.
Le premier assistant considère également le pré-minutage comme une information pouvant confirmer ou infirmer ses propres évaluations de temps de tournage.
D’ailleurs, les scénarii très dialogués sont plus faciles à pré-minuter que ceux où il y a beaucoup d’actions et de descriptions. Dans ce dernier cas, le réalisateur est le seul à pouvoir m’éclairer.

Ce pré-minutage doit être révisé à chaque nouvelle version du scénario.

Est ce que l’adage d’ « une page, une minute » est encore valable aujourd’hui selon toi ?
Sur certains films très dialogués où le scénario est standardisé dans sa mise en page (police, taille de police… voir notre article sur le sujet), la réponse est oui.

Quand tu rencontres un producteur qui t’indique un temps idéal pour le film à ne pas dépasser (pré-achat TV, festivals etc.) avant ton pré-minutage, est ce que cela t’influence ?
C’est sans doute l’erreur numéro une de la scripte qui débute. On ne pré-minute JAMAIS en fonction d’un plafond. On pré-minute le scénario tel qu’il est.
C’est comme si vous demandiez à un assistant réalisateur de faire un plan de travail sur 6 semaines pour un long métrage dont le scénario indique 9 semaines. C’est rentrer dans une situation inextricable et mettre le film en danger dans sa fabrication.
Pré-minuter le scénario normalement permet de s’assurer que la production et le réalisateur ont vu juste dans leur prévision de durée. Dans le cas contraire, cela les alertera au bon moment et leur permettra de prendre les décisions qui s’imposent.

Une scripte qui pré-minute doit le faire avec une certaine confiance dans son expertise et ne pas se laisser influencer à mauvais escient. C’est la clé.

Parlons des rapports si tu veux bien.
La scripte a quatre rapports à remplir lors du tournage.

  • Un rapport montage
  • Un rapport image
  • un rapport de production
  • un rapport horaire aussi appelé « mouchard »

Le rapport montage est le plus important car le monteur en a besoin pour le début du montage mais également par la suite en cas de questionnement. On y indique les informations les plus utiles pour lui (intention du réalisateur, choix de la bonne prise et pourquoi, raccords importants etc.). La scripte appelle souvent le monteur en amont du tournage pour connaître ses attentes sur le dit rapport. Des choses qu’il souhaite voir apparaître ou non. On y cercle les bonnes prises comme à l’époque de la pellicule.

A l’époque de la pellicule, les prises cerclées permettaient au laboratoire de développer uniquement ce qui était valable et donc de réduire les coûts.

Le rapport image est destiné au laboratoire. Pour ma part, j’y mets l’essentiel faute de temps souvent. En assistante scripte, je le développe un peu plus. On peut y indiquer une perche dans le champ, un petit mou au point, un allumage ou une extinction dans le plan etc.

Il comporte 4 feuillets carbonés par page : Le premier destiné au laboratoire, le deuxième au montage; le troisième à la production et le quatrième reste dans le cahier de la scripte en cas de problème.

Le rapport production est envoyé tous les soirs à la production. Il comporte des informations sur la journée : début du PAT, horaire de la fin de journée, comédiens présents, nombre de plans tournés, les séquences non tournées ou non terminées, le minutage utile du jour, une panne matériel… Ce rapport sert beaucoup à l’administration de la production pour les salaires et au directeur de production qui ne peut pas être tout le temps sur le plateau.

Le rapport horaire aussi appelé mouchard consigne les événements de la journée comme les incidents, accidents, retards, pannes, tournage avec des enfants, etc. Il fait foi pour l’assurance en cas de litige. Ce dernier se note sur un cahier avec une feuille carbonée la plupart du temps.

Ce dernier rapport est assez proche du rapport de production. Le « mouchard » n’est pas consultable par l’équipe qui s’en moque la plupart du temps contrairement à la production et au 1er assistant réalisateur qui peuvent y jeter un œil sur demande. Plutôt idéal pour ce dernier qui pourra cibler les inerties d’une journée de tournage.

Que penses-tu de l’arrivée de la tablette comme l’iPad ? On en voit de plus en plus sur les plateaux comme nouvel outil de travail de la scripte !?
Je me pose encore la question. Certaines scriptes autour de moi commencent à l’utiliser. Pour le rapport de production bien sûr, mais aussi pour le rapport montage avec des applications comme Scripte évolution, créé par des scriptes françaises.
J’ai fait des réunions avec des consœurs pour savoir comment se placer vis à vis de ce nouvel outil. Pour ma part, je ne suis pas encore prête à faire la transition. Je ne suis pas à l’aise avec une tablette sur un plateau (fragilité, fiabilité, autonomie, ergonomie). Peut être un jour qui sait. Le papier reste encore une valeur sûre. « Ce n’est que du papier » comme dirait une de mes chefs. On peut raturer, prendre la pluie, etc…

Quels sont les atouts d’une bonne scripte ?
L’esprit de synthèse, l’adaptabilité, la discrétion et l’observation. Il faut aussi savoir s’affirmer, avoir de l’aplomb face à un réalisateur, un chef opérateur ou encore un premier assistant … sur des points importants que la scripte doit impérativement sauvegarder pour le bien du film. Seul le réalisateur tranchera mais il doit être au courant.

Scripte « pots de fleurs » ou « chiante » ?
Chacun son style. Chacun son réalisateur. J’espère ne faire partie d’aucune des deux catégories. Une erreur toutefois revient chez certaines scriptes à savoir le zèle. Il faut savoir discerner l’important du futile, gérer les priorités. Sinon, cela risque de faire fuir le réalisateur qui ne s’intéressera plus à mon opinion. Il n’aura plus mon écoute…

Un bon tuyau pour une scripte qui veut se lancer ?
Deux écoles. L’assistanat tout d’abord. Il permet d’apprendre au fur et à mesure et de prendre des « trucs » chez plusieurs scriptes. Pour ma part, c’est en voyant faire que je me forge pour assurer ensuite seule. Mais chacun est différent. Ensuite, scripte directement sur des courts métrages. C’est dur mais on apprend vite. Attention toutefois à ne pas prendre de mauvaises habitudes !
Il est, dans tous les cas, très important de rencontrer des scriptes qui ont de la « bouteille ». Ce sont des métiers de transmission, ne l’oublions pas !

Un livre incontournable à lire sur le métier ?
« La script-girl » de Sylvette Baudrot aux éditions La Fémis.
Scripte incontournable encore en activité, qui nous parle de son expérience, ses anecdotes, de la fin du muet à aujourd’hui… Très instructif.

Ton meilleur souvenir de tournage ?
Beaucoup et j’espère que ce n’est que le début !

Le mot de la fin ?
La scripte est un poste clé sur un tournage. A nous de faire en sorte que ce que nous apportons au film et au réalisateur leur soit indispensable.

Alice, merci infiniment.

scripte girlAlice Maurel
Email : almaurel@gmail.com
Imdb : http://www.imdb.com/name/nm4089819/

Sources :
– Définition des rôles du scripte et de l’assistant scripte par LSA !
– Bibliographie de la scripte ici !

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2 réponses

  1. Plus de 400 lecteurs en 5 jours pour notre entretien avec Alice Maurel. Merci ! :)

  1. 10 mai 2023

    […] Vaste sujet ! A la différence du système français détaillé ci-dessus, le système à l’américaine va remplacer le numéro de plan par une lettre (le plan 1/3 devient alors 1C), voire numéroter tous les plans dans l’ordre du tournage du premier au dernier jour, sans référence à un numéro de séquence. Alice Maurel évoquait ces différences dans un entretien ARA : […]

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