De la nécessité de « débriefer » ?

2014 ! Je termine un moyen-métrage complexe au poste de 1er assistant réalisateur. Le lendemain, après la fête de fin de tournage, je suis convié au bureau des deux producteurs parisiens. Légère appréhension, traits tirés, quelques mots échangés avec le sourire en préambule, je m’assois, un temps, puis avec une certaine gravité, ils me demandent littéralement : « Qu’est-ce qu’on a merdé sur ce film à ton avis ? ». Un autre temps. Ce fut alors le début d’un débriefing général et bilatéral sur le tournage.

J’avais déjà quelques années d’expériences et c’était la première fois qu’une telle question m’était posée de la part d’une production qui, manifestement, acceptait l’idée de se remettre en question. Je me suis dit : « Wow !! Des producteurs humbles, à l’écoute ». Depuis, cette question résonne toujours par son absence sur une majorité de projets. La prise de conscience du débriefing, ce fut !

Définissons.

débriefing
nom masculin
(anglais debriefing, compte-rendu)
1. Réunion d’un groupe de militaires à la fin d’une mission pour faire le bilan de celle-ci.
2. Action de faire parler quelqu’un, de l’aider à formuler de vive voix ce qu’il ressent après un événement traumatisant, dans un but de soutien psychologique: Procéder au débriefing des rescapés d’un accident d’avion.
3. Séance de compte-rendu critique après une réunion; bilan que l’on peut en tirer. (Abréviation familière : débrief.)

Source : Larousse

Des « militaires à la fin d’une mission pour faire le bilan » ? Tiens donc. Cela ne fait-il pas penser à l’imposante et pourtant nécessaire hiérarchie des équipes de tournage, qui ont pour « mission » de faire un film ?

Un « événement traumatisant » qui nécessite un « soutien psychologique » ? Les mots sont forts, mais justes dans certains cas. Cela ne correspondrait-il pas à un tournage difficile par ses conditions techniques et humaines ?

Un « compte rendu critique », un « bilan que l’on peut en tirer » ? Ou prendre conscience de ce qu’on a réussi (ou de ce qu’on a raté) pour faire encore mieux la prochaine fois ?

Baliverne !! À en croire les réseaux sociaux, tous les tournages se passent merveilleusement bien, avec des équipes formidables. Véritable harmonie ou mensonge conscient pour s’attirer quelques faveurs sociales ?

Qui n’a jamais souffert d’un préjugé ? D’une injustice ? D’un malentendu sur son travail ou sur sa personne ? D’une simple étourderie à la faute lourde ? D’une méprise ? D’un ton inapproprié ? D’une injonction rabaissante… Qui a tort, qui a raison ? Le point de vue ou les faits ? Où est l’ « erreur » ?

Indubitablement, nous essayons d’atteindre une forme d’excellence dans notre travail, en symbiose avec les autres. Pourtant, l’ « erreur », objective ou subjective, personnelle ou collective, se produit. Merveilleusement humaine quand on y pense aujourd’hui, car elle contribue le plus souvent à la vérité de demain. Comment alors l’appréhender afin d’avancer ?

Il faut déjà la reconnaitre cette « erreur » pour ensuite la comprendre. Pour ce faire, la sacro-sainte autocritique (ou le fait de juger son propre comportement en vue de l’améliorer) est un bon début solitaire, mais à la condition de ne pas trop en abuser, dixit « Foutez-vous la paix ! Et commencez à vivre ». Cependant, si l’autre est impliqué, forcément en travail d’équipe, se parler ne devrait-il pas logiquement s’imposer ?

En préparation, on peut facilement trouver un moment en aparté, pour s’ajuster, se dire les choses quand ça ne va pas. En tournage, l’enjeu rend plus difficile l’exercice. Il y a la fatigue, la pression et le stress. Toutefois, en dehors de ce dernier, en fin de journée ou le lendemain après une nuit de repos, le moment est approprié pour communiquer, se débriefer, toujours en aparté.
En fin de tournage, le débriefing, sans doute le plus important, sera plus orienté sur le fond, avec le paradigme de production d’une part, confronté aux différents départements qui l’ont mis en œuvre, d’autre part. On se rappellera dès lors de cet adage connu en préparation des équipes : « … faire le même film ! ». Quelle sera la réponse en disant au revoir ?

Le débriefing permettrait-il alors de faire et d’aller mieux ? De prendre du recul pour mieux se comprendre ? Ne serait-il pas finalement une sorte de catharsis indispensable pour libérer nos émotions (positives et négatives) afin de ne pas tourner et retourner quelque chose dans son esprit !? Des jours, des mois, des années encore après selon les événements et sa propre sensibilité, s’inscrivant ainsi dans notre mémoire cellulaire ?

Si tel est le cas et afin d’amorcer cette thérapie, encore faut-il accepter ce débriefing en bon professionnel, empathique et honnête, avec un soupçon de courage…

« L’erreur est humaine, le pardon divin ! » – Alexander Pope


Soutenez les auteurs du blog pour encore plus de contenus exclusifs.

Merci pour eux et à ceux qui font battre le cœur d’ARA. <3

Victor Baussonnie

1er assistant réalisateur / Movie Magic Scheduling / PSC1 Tipeee : https://fr.tipeee.com/victor-baussonnie/

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.