Le jargon de l’assistant réalisateur

Quand le jargon de l’assistant réalisateur fait l’objet d’un florilège, collecté par un ingénieur du son Belge.

Philippe Vandendriessche, un ingénieur du son chevronné, nous a contacté aujourd’hui pour nous faire part d’une petite pépite !
Un texte de son cru, un « hommage » pour le citer, aux assistants-réalisateurs qu’il a cotoyé tout au long de sa carrière et qu’il fréquente toujours sur les plateaux.

Il nous a demandé si nous étions intéressés pour le publier sur notre site. C’est avec un grand plaisir que nous avons répondu OUI ! Un grand merci à lui pour le partage.

Le voici sans plus tarder.

« Les Empereurs du Jargon. »

Le tournage d’un film est un mouvement collectif de création. Les spécialistes de l’image, du son, de la lumière, du décor, des costumes, du maquillage, de la coiffure, tous sont réunis autour du réalisateur pour faire exister un projet sur l’écran.

L’équipe du film, c’est tout un monde de spécialistes, organisés selon une hiérarchie savante pour délimiter l’espace de compétences de chacun.
Cette machine humaine se met en marche et s’organise grâce au travail de l’assistant réalisateur. Il gère le temps et veille à ce que tout soit réuni pour que la magie puisse exister sur la pellicule.
L’assistant réalisateur a un rôle ingrat, il sert de tampon entre le réalisateur et l’équipe. Mais son travail a des aspects savoureux. Le jargon de l’assistant, c’est l’ambiance du plateau.

L’idée m’est venue de prendre note de toutes ces phrases dans un carnet et, les ayant fait lire à quelques personnes, je me suis rendu compte que c’est… de la poésie.

On plonge dans l’ambiance du plateau, on aperçoit la face cachée: ce qu’il se passe derrière la caméra avant le mot « Moteur ».

On commence d’abord par des mises en place: « On va tricher la table », « Les figurants, vous faites semblants (de boire, de manger, de parler…) », « On le fait à l’épaule ou sur pied ? », « Ne regardez pas la caméra », « On n’a qu’à lui mettre un boudin pour sa place de fin », « On peut sucrer la table », « Passez-moi une cale-sifflet », « Il sortira gauche cadre », « Encore un poil plus », « Il faut anticiper légèrement ».

Alors l’acteur arrive : « On va faire une mécanique », « On rentre en répétition », « Je règle les regards », « On fait les points », « Il n’est pas dans ses marques », « Dévisse-toi un peu », « On branche le retour ».
L’équipe doit se discipliner : « Silence ! », « Qu’est-ce qu’on attend? », « Où est la maquilleuse? », « On reste concentrés », « On coupe les GSM » ou bien « Coupez les portables ! ». « Tout le monde reste en place », « Je voudrais un vrai silence », « On laisse travailler la lumière ».
On va bientôt tourner : « En place ! », « Qu’est-ce qui empêche ? », « C’est quand on veut! », « On attend pour l’avion », « Allez ! Allons-y », « On fera un clap de fin », « On bloque la circulation », « On libère le champ », « Envoyez la pluie », « On ajoute un peu de fumée », « On est bons, on y va ! », « On attend un drapeau et on y va », « Cadré ? », « Moteur demandé ».
On a tourné : « Check the gate » ou bien « On vérifie la fenêtre », « On change d’axe », « Il est parti avant Action », « Elle brille, on la repoudre » ou bien « Retouches maquillage ! », « C’est coupé, merci », « Elle était au poil, on en refait une en vitesse », « On change de caillou, on passe au cinquante », « On recharge » ou bien « On change de magasin », « On casse » ou « C’est caisse », « C’est la bonne, on l’a », « On la double », « On passe au large », « On peut débloquer ».
On parle de l’avenir : « Coupure déjeuner », « On fera les sons seuls plus tard », « On prendra le café sur le plateau », « Le son peut venir plus tard, on commence par des plans muets », « Demain on est en mixte », « On va débuller le suivant ».
Il reste encore quelques problèmes : « Le brol du son est dans le chemin », « On a un projo qui bave sur l’infini ».
Arrive la phrase finale : « Fin de journée », « Merci à tous, vous attendez la feuille de service pour demain ».

Cette promenade dans l’ambiance sonore du plateau constitue un rituel qui se répète d’un tournage à l’autre, avec seulement quelques variantes. C’est toute la mise en condition de l’équipe. Les gouttes d’huile qui font tourner les mécanismes. Et quand tout tourne bien, n’oublions pas que c’est forcément parce que l’assistant a su dire et diriger. Tout cela devait être dit.

Philippe Vandendriessche
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Philippe VandendriesschePhilippe Vandendriessche est un ingénieur du son et photographe belge, né en 1958 à Nivelles. Depuis 1984, il est professeur de l’Institut des arts de diffusion. Il enseigne également au Conservatoire royal de Mons et est professeur invité à l’ESAV de Toulouse. La suite sur son wiki !

Il a travaillé notamment sur Séraphine de Martin Provost (2008) et Na Wewe d’Ivan Goldschmidt (2010) nominé aux Oscars pour le meilleur cour-métrage. Son IMDB !

4 commentaires

  1. Qu’est-ce qui empêche…Ça me fait toujours rire quand jevoi des assts Français répéter ce truc là!! Ici à Montreal les figurant pour faire semblant de parler on leur dit de faire du fish talking!

  2. Réunis de la sorte le texte sonne comme un véritable poème, une petite mélodie. On est précisément dans l’ambiance d’un film. Je n’aurai jamais cru avouer ça un jour mais l’assistant réa est incontestablement le chef d’orchestre du plateau…(et en tant que régisseuse ça me fait mal de l’avouer ;) ) Le texte est, en tout cas, très émouvant ! Chapeau bas l’artiste ! Merci. J’ai adoré !

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