Entretien avec Pierre Delaunay, directeur de production

Pierre Delaunay, jeune directeur de production, comme il se qualifie lui-même en se justifiant d’une activité aussi tardive que récente, répond à nos questions.

Comment es-tu devenu directeur de production ?

Par la force des choses, et par le hasard, ce qui revient un peu au même, en un sens. J’ai débuté il y a plus d’une vingtaine d’années, très jeune. J’ai fait mes armes dans des boîtes de post-productions (pubs, télé, effets spéciaux) tout en terminant mes études. A l’issue de celles-ci, j’ai fait mes premiers pas dans la réalisation et ai ainsi réalisé des courts-métrages et des documentaires dans des conditions relativement confortables, à défaut d’être totalement professionnelles. Je veux dire par là que, bien qu’épaulé et que naviguant sous la bannière de sociétés de production-amies, la conception de ces films me revenait depuis le scénario jusqu’au montage en passant par la recherche de financement auprès des régions et des chaînes. Par choix ou par nécessité ? J’aurais du mal à le démêler aujourd’hui. Mais le fait est que c’est cet aspect « multi-casquettes » qui m’a aidé à comprendre et à me glisser plus tard dans cette étrange réalité artistico-financière qu’est la fabrication d’un film.

Ce n’est pas un parcours classique… !?

mirador-pierre-delaunayEn effet. J’ai écrit pas mal de films. Puis c’est comme monteur que j’ai pu asseoir un semblant de situation salariale. C’est d’ailleurs à l’issue d’un montage pour un réalisateur-producteur, lequel produisait un court au sein de sa boîte, qu’est venue ma première proposition de direction de production pour de la fiction. J’avais déjà fait une grosse série documentaire pour Arte. Il m’a fait confiance. Merci à lui. Depuis, à l’exception d’un autre montage de série, je me suis exclusivement consacré à cette activité.

Comment décrirais-tu ton métier en quelques mots ?

Je pourrais répondre classiquement que j’essaie de répartir et de distribuer au mieux les quelques sous que daigne me confier le producteur. Mais ce n’est pas le plus important. Un film est une politique.
J’interviens au coeur de ce système qui n’est probablement pas une démocratie mais s’apparenterait plus à une république dans laquelle chacun travaille au bon fonctionnement de la cité. Au moyen de certains intermédiaires, et dans le cadre des « fonctions », et donc à différents niveaux, chaque voix peut être entendue, chaque « droit » respecté.
J’interviens pour être garant de ce bon fonctionnement et également me porter caution d’un certain sens de la justice.
C’est d’ailleurs cet aspect qui m’intéresse le plus actuellement dans ce métier. La rencontre d’un scénario et d’un producteur, au sein d’une société, fera que cette dernière engagera une mise en production comme une mise en oeuvre d’un projet, politique, dont le plan salarial sera un axe primordial mais pas exclusif. Il m’appartient de tenir ce projet en faisant valoir la plus grande équité. Je pense que c’est dans cet unique respect, disons aussi bien collectif que moral, que réside la réussite d’un bon tournage. Et que c’est parce qu’il y a au sein de cette « entreprise dans l’entreprise » qu’est la production d’un film, l’idée d’une justice, au départ, et éternellement recommencée, que l’on pourra faire dialoguer et travailler autant d’interlocuteurs.
En tant que directeur de production, j’oeuvre pour que chacun des techniciens, comédiens, et autres partenaires puissent se reposer sur moi pour le bon respect de cette loi.
Et de la loi, bien-sûr plus généralement.

Directeur de Production cinéma

Cadre collaborateur de création engagé par la société de production en vue de la réalisation d’un film, il représente le producteur de la préparation à la fin des prises de vues et éventuellement jusqu’à l’établissement de la copie standard. Il assure la direction et l’organisation générale du travail dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Il veille dans l’exercice de ses fonctions au respect des règles d’hygiène et sécurité en vigueur. Il est responsable de l’établissement du devis et gère les dépenses de la production du film. Il supervise le plan de travail et agrée celui-ci. Il est chargé notamment de l’engagement des salariés concourant à la réalisation du film.

Source : Convention Collective Nationale de la Production Cinématographique du 19 janvier 2012

Par quel biais un producteur te contacte et comment vous abordez un projet de film ?

Assez simplement. Il me contacte soit parce qu’il me connaît, qu’on lui a soufflé mon nom ou qu’il n’a trouvé personne et vise à tire-larigot. Bon, là, le cas mérite d’être soigneusement étudié (rires).

Quelque soit le cas de figure, on lit le scénario, on cherche les enjeux, les défis, au regard de ce qu’il m’a annoncé comme financements.

Puis on rencontre des personnes qu’il faut à la fois séduire et rassurer en présentant un maximum de garanties. Cela marche bien entendu dans les deux sens puisqu’on cherche mutuellement à savoir dans quoi on met les pieds. Mais tout ça est normal, non ?
Il me semble que ça se passe ainsi pour chacun de nous autres, techniciens, qui nous voyons confier à un moment une responsabilité, à qui on va déléguer des champs d’intervention. Je ne pense pas être dans une position si spécifique. A part peut-être le moment où se pose la possibilité d’avoir la signature sur le chéquier de la société ou de passer des ordre de virement (rire). Bon, là en effet, on peut dire que c’est une étape importante ! D’ailleurs, on n’a pas toujours cette signature. Certains producteurs préfèrent la garder.

Ah bon ?

Ce sont les cordons de la bourse tout de même ! Mais ce n’est pas un problème en soi. Au contraire. Même avec le risque d’une certaine inertie à des moments où ça doit aller vite, le fait d’avoir des intermédiaires dans des processus de validations, avec des incidences de trésorerie par exemple, permet aussi de ne pas aller trop vite, de justifier ses choix, de mettre les cartes sur la table. C’est en cela que les collaborateurs proches comme le secrétaire ou l’administrateur de production ont un rôle important. Ce sont des petits verrous, des garde-fous qui permettent de se sentir un peu moins seuls aussi. À chaque fois qu’un de ces postes n’existe pas, c’est un verrou en moins. Et un verrou de plus qu’on doit donc se mettre soi-même. Y penser à deux fois à chaque décision afin de ne pas dire ou faire des bêtises.

C’est quoi un plan de financement ?

Un truc assez simple : le producteur cherche à réunir, pour un film donné, des fonds, qui seront « acquis » ou encore « non acquis », « chiffrés » ou « non-chiffrés » – selon la terminologie consacrée – au moment où j’interviens, et qui constitueront en quelque sorte le cadre financier dans lequel je vais travailler. On part du principe que ce plan de financement regroupera au final, c’est-à-dire avant de partir en tournage, toutes les sources réunies POUR RENDRE RÉALISABLE LE BUDGET DU FILM. Et inversement. Certains de ces financements pouvant encore intervenir en cours de route, mais en France, contrairement aux Etats-Unis qui fonctionnent différemment, c’est assez rare. En tous cas pendant le tournage.

Parle-nous de ce fameux document, le devis ?

Il est à deux vitesses. La 1ère est consubstantielle au scénario. Le devis cherche à coller au mieux à ce qui est écrit. Chaque mot a une incidence financière. On dépouille. On chiffre.

La 2ème est substantielle aux moyens de production. Au plan de financement, justement. On confronte les deux. On mesure les écarts, on se projette sur les difficultés à venir, les « points de bascule »… on commence à anticiper des solutions.
Mon premier budget était une étude. Le suivant sera une proposition. Qui évoluera au fil de la prépa pour être une base commune, à l’instar du scénario. Notre « politique », comme je vous le disais.

Frais généraux, salaires producteurs, imprévus… ? Comment ça se passe ?

Là encore, c’est assez simple : Ces postes participent du devis. Au même rang que le reste… nombre de jours de tournage, salaires techniciens, etc.

Même si souvent ramenés à un pourcentage indexé sur le coût de fabrication, ces frais sont à mon niveau une « donnée » à respecter : Les imprévus sont la plupart du temps parfaitement cohérents et nécessaires dans le cadre du tournage à sa fabrication. Et quand bien même ils ne seraient pas tous utilisés durant le tournage, ils seront d’une grande aide pour la post-production, souvent fort sous-divisée.

Quant aux frais généraux, parfois l’objet d’une sorte de fantasme de la part des techniciens, ils correspondent tout simplement aux moyens nécessaires à la société. Comme par exemple : payer le loyer, changer le toilette défectueux et avoir une bonne machine à café… Organiser de grosses ou petites fêtes dans laquelle se réunira peut être le gratin du cinéma qui permettront au film de se faire (entre autres efforts en profondeur auprès du réalisateur et autour de son scénario durant de longs mois) et d’embaucher des techniciens – donc nous !
Faire imprimer des scénarios sur du papier pas trop moche afin de fournir les meilleures conditions aux futurs auteurs pour leurs futurs films sur lesquels seront engagés leurs futurs techniciens – toujours nous…

Et ça ne peut pas bouger ?

Ben, si. Ne tournons pas autour du pot ! Sur un film particulièrement compliqué, sur lequel chacun fait des efforts et beaucoup de sacrifices, le producteur est amené à en faire tout autant. J’en ai fait quelques uns sans salaire producteur et avec des frais généraux ridicules. Mais ça n’est pas la règle. Ça ne DOIT pas être la règle.

Le devis est structuré en onze postes.

1. Droits artistiques ;
2. Personnel ;
3. Interprétation ;
4. Charges sociales ;
5. Décors et costumes ;
6. Transports, défraiements, régie ;
7. Moyens techniques ;
8. Pellicules, laboratoires ;
9. Assurances et divers, comprenant notamment les frais de publicité et les frais financiers ;
10. Frais généraux : fraction des coûts habituels supportés par la société de production, limités à 7 % ou 10 % par le CNC dans la détermination du coût définitif de l’œuvre ;
11. Imprévus : généralement évalués à 10 % de l’ensemble du budget prévisionnel.

Par ailleurs, il est préférable que ces dépenses soient distinguées en fonction de leur pays d’engagement : en France ou à l’étranger.

Ta relation avec le réalisateur ?

Un mélange de confiance et de respect avant tout. Ça peut sembler une banalité et valable pour beaucoup. Mais j’ai le sentiment que pour cette relation-là c’est particulièrement vrai.
Ensuite, chacun des réalisateurs fait avec moi comme il le fait avec l’ensemble de ses collaborateurs : laisser plus ou moins de place, plus ou moins de liberté. C’est très bien ainsi. Je l’accepte.

Ta relation avec le 1er assistant réalisateur ?

Le 1er assistant est embauché pour livrer un plateau.
Et délivrer les techniciens à l’issue de la journée… Si possible pas trop tard.
Entre les deux et dans le cadre de ce qui a été globalement et préalablement convenu, il fait ce qu’il veut. J’aurais presque tendance à dire qu’on peut s’en tenir là.
Rentrent bien sûr en ligne de compte des aspects plus « amicaux »… D’autant que c’est un poste très exposé, qu’il s’agit de soutenir et d’accompagner quand il se trouve devant un « noeud » dont la seule réponse relèvera de la production.
Mais d’un point de vue professionnel c’est, je pense, cet « accord » qui garantit la bonne entente.
mister_no« Mister NO » ? :)

Mister YES plutôt !!!

Il n’y a pas de sentiment plus réjouissant que de satisfaire une demande dans le cadre d’un tournage. Demande la plupart du temps normale et légitime mais qui, pour les raisons qu’on connaît et liées à des budgets souvent « sur la corde », apparaît soudainement problématique.

Je considère que si j’ai pas trop mal travaillé, et surtout si j’ai bien expliqué à l’équipe les enjeux de ce film-ci, les contraintes de ce film-là, les difficultés rencontrées et les arbitrages finalement concédés, il me sera alors plus facile d’accéder à une requête, qui sera d’autant plus légitime et aisée à honorer qu’elle sera ciblée et « raisonnable », si j’ose dire. Je me suis souvent entendu dire « si tu me le demandes, c’est que tu en as besoin… ». Mais cette phrase doit se gagner. Aussi bien pour celui qui l’a prononcée que pour celui qui l’entend.

L’autre qualificatif assez pénible et récurrent est celui de « Minute Man ». Là, encore c’est assez désobligeant car cela nous ramène à une simple fonction « rabat-joie », un peu castratrice et très mesquine. Celle du type qui s’accroche à son devis et qui ne veut pas le dépasser. Mais le devis, c’est pas « mon » devis. C’est le film ! Qu’il y ait des aléas, des improvisations dans la mesure où c’est anticipé, c’est quelque chose qui est possible sans que ça devienne un psychodrame.

Il m’est arrivé une fois, un jour un peu compliqué pour la mise en scène, d’arriver pour ces fameuses dix minutes avant la fin de journée et de me faire rembarrer par le réalisateur précisément car il ressentait ma présence comme le couperet de l’homme-à-la-montre qui allait s’abattre sur lui. Il n’avait pas compris que j’étais là précisément pour lui dire de terminer sa journée et l’accompagner jusqu’au bout de sa scène. C’est à dire concrètement payer l’heure supplémentaire. Ce n’est bien sûr pas toujours le cas (il ne vaut mieux pas !) mais je voulais illustrer aussi cette « défiance » qu’on peut ressentir alors qu’au contraire, si les enjeux sont mesurés et que le risque en vaut la chandelle, on reste en tournage la même équipe que nous étions en prépa. Et c’est là que le 1er assistant a aussi un rôle à jouer.

En quoi selon toi ?

Eh bien, il lui appartient d’anticiper, de prévenir, d’accompagner, de négocier ce temps, disons élastique ; un temps de tournage amené constamment à se détendre pour se tendre à nouveau, et revenir au final à ce qui est possible au regard d’un devis qui lui n’est pas élastique. Du coup, il a en mains toutes sortes d’éléments qui le lient aussi bien au réalisateur qu’au producteur. Il est un intermédiaire qui doit créer justement du lien et n’être ni un tampon ni même, comme certains le font, une « protection » de l’auteur.
pierre-delaunay-ordiEntre directeurs de production, vous vous appelez parfois pour partager des tuyaux ?

Oui, absolument. Mis à part le principe de concurrence « naturel » auquel on ne peut pas échapper dans ce milieu où nous sommes relativement beaucoup pour pas beaucoup de films (longs métrages surtout), j’ai plutôt le sentiment qu’on s’échange relativement bien les infos quand on les cherche et quand on en a besoin.

As-tu déjà refusé un film intenable budgétairement ?

J’ai surtout regretté de ne pas l’avoir fait.

Que doit faire un directeur de production sur le plateau selon toi ?

Penser à la post-prod.

La plus grande qualité du parfait assistant réalisateur de fiction ?

Celle de l’art culinaire. La maîtrise des ingrédients DANS le temps.


Crédits photos
Image à la une : Nathaniel ARON

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