Entretien avec Clotilde Martin, Régisseuse Générale – AFR

Jeune régisseuse générale de 35 ans, membre de l’AFR (Association Française des Régisseurs de la production cinématographique et audiovisuelle) et au parcours déjà solide, Clotilde Martin nous a fait l’honneur de partager son expérience et sa vision du métier lors d’un tout récent entretien. Un métier méconnu et pourtant, incontournable, dans la mise en oeuvre d’un projet de film.

Clotilde, en quoi consiste ton métier ?

C. M. > C’est le métier qui rend, sur le plateau, les demandes de tous les départements du film… réalisables ! (rires)

Depuis les repérages, vers les autorisations de tournage et les mises en oeuvre sur le décor en passant par la gestion des demandes techniques et individuelles de chacun. Cela, en veillant au confort et à l’encadrement logistique d’un seul et même tout. Fournir à tous ce dont ils auront besoin pour travailler au mieux. C’est un liant, un métier qui touche à plein de domaines. Il faut que ça s’imbrique tout ça !

J’aime ce mot de « général » pour sa forme d’omniscience sur la construction à venir du film, dans sa fabrication. Un métier qui interagit avec tous les autres métiers du plateau mais qu’on ne connaît pas forcément ! J’aime aussi sa notion de quasi-invisibilité. D’aucuns la trouvent ingrate, moi je la trouve assez grande… Je dis souvent que les métiers du cinéma sont les métiers de l’ombre. Le régisseur, c’est le métier de la pénombre. Il est derrière et les accompagne, eux tous. Une pierre à la base d’un haut mur. Bougez la et tout se casse la figure. ;-) As-tu suivi une formation et quels ont été tes débuts ?

C. M. > Après un BAC L / Spé Maths, j’ai suivi une formation à l’ESRA Paris, promotion 2003, spécialisation Production. L’école, c’est ce qu’on en fait… Elle aide assurément à asseoir des connaissances générales sur le métier, à étendre sa culture cinématographique et à permettre un développement de soi dans telle ou telle spécialité.

Nos équipes regorgent de métiers. À 18 ans, on ne les connaît pas tous. L’école permet de se projeter dans toutes ces spécificités. Par exemple, moi, je partais à l’école pensant faire de la mise en scène, comme quoi ! (rires) Mais cela ne suffit pas : il faut pratiquer. J’avais un super prof et maître de mémoire par la suite, Jacques Faure, qui m’a (nous a tous !) beaucoup encouragé à cela.

J’ai donc créé ma petite structure de courts-métrages en association avec un ami de classe, Louis-Julien Petit (réalisateur de « Discount », « Les Invisibles »…). On a produit ses courts-métrages, développé et produit certains courts-métrages de copains… On bricolait à la maison mais on travaillait toujours à avoir un pré-achat de chaîne, une ou plusieurs têtes d’affiches… On voulait pas que nos films restent dans un tiroir… On a mis les mains dedans quoi et c’était assez chouette. ;-)

En parallèle et toujours dans cette même idée de « pratiquer et apprendre », j’ai cherché à rapidement travailler dans le milieu professionnel. J’ai trouvé un stage chez Adventure Line Productions (ALP), une société qui produisait des émissions, entre autres, pour France Télévisions (« Fort Boyard », « La Carte aux Trésors »…). Le matin donc en cours, l’après-midi au bureau puis en tournage…
J’ai été amenée à travailler plus précisément sur « La Carte aux Trésors ». J’y ai beaucoup appris pendant plusieurs années, en particulier parce qu’en télévision, la régie et la production sont souvent au sein d’une même équipe de coordination. Et j’avais de la chance, c’était une équipe géniale ! On préparait au bureau tout au long de l’année puis on partait en tournage. C’était un apprentissage très complet. En plateau, même si ce n’était pas l’intitulé de mon poste et sans le savoir vraiment, je faisais déjà de la régie… !

Quand je suis sortie de l’école, j’avais donc déjà mon statut d’intermittente du spectacle en tant qu’assistante de production. J’ai ensuite quitté ALP car je souhaitais travailler dans le cinéma mais ce n’était pas facile de se présenter dans ce milieu, jeune et avec un CV fait uniquement d’expériences en télévision. Je sentais que la transition petit/grand écran n’était pas rassurante pour mes interlocuteurs…
Alors, j’ai voulu continuer à me former et me suis donc inscrite via l’AFDAS, à une formation « Direction de production cinéma » au CEFPF. J’y ai rencontré Antoine Théron, alors régisseur général à qui j’explique, à l’époque « que quand je serai grande, je voudrais faire de la production, que j’ai compris que la régie était une voie assez royale pour en apprendre les méandres, ce que c’était que la fabrication d’un film sur le terrain… ». Et que bref : « Je veux devenir régisseuse ».

Alors là, je ne te cache pas qu’il n’était pas convaincu… (rires) Avec mon CV d’assistante de prod et mon délit de faciès évident quand on se dit qu’un régisseur, d’ordinaire, c’est plutôt un mec baraqué… (rires) Mais j’ai eu la chance folle de tomber sur un homme extrêmement bienveillant et qui a la passion de la transmission. Alors, il allait me donner une chance… Au pire, ça ne marchait pas et ça aussi, il m’aurait permis de l’apprendre… Il m’a donc prise à l’essai sur un film (« Molière » de Laurent Tirard – 2007). D’abord, quatre jours tests en auxiliaire régie où j’ai découvert ce métier. Puis finalement, j’ai fait le film en entier, puis le suivant, etc. Auxiliaire, puis régisseur adjoint.

Le début d’une longue collaboration, parce que de mémoire, c’était en 2006 et que je travaille encore avec lui aujourd’hui. Il est depuis directeur de production. Ça fait donc treize ans ! (rires) Il me connaît bien, m’a aidé à grandir… Je lui dois beaucoup.Y a-t-il une forme de sacerdoce dans ce métier ?

C. M. > Oui. En tout cas, moi je le vis comme ça. Je ne prétends pas qu’il s’agisse de LA définition de la régie, il y autant de manière d’appréhender ce métier qu’il compte de régisseurs. C’est simplement ma vision. Le côté sacerdotal peut paraître extrême mais moi, je ne sais pas le faire autrement. C’est toute proportion gardée car c’est une mission qui a un début et une fin. On est comme dans un tunnel le temps d’une période donnée… On se lève avec le film, on se couche avec le film en tête… Pour ma part, j’ai souvent des idées en prenant ma douche ! (rires)

Physiquement aussi. C’est presque impressionnant de voir comment ton corps se pose en marathonien. Tu tiens sur la longueur et souvent tu t’effondres à la fin. (rires) Mais jamais pendant ! Hors des temps de travail effectifs, les films ont cette propriété de vous « posséder » 7 jours sur 7. Les semaines de 39 heures n’existent pas réellement… :-) Cependant, on arrive à se préserver avec l’expérience.
On apprend et on découvre tout le temps. On y fait de nombreuses rencontres dans le cadre de projets uniques. Les équipes mais aussi les gens avec lesquels nous sommes amenés à travailler sur des décors, parfois des lieux inédits ou insolites… Que c’est riche ! Et ça, ça fait passer certaines pénibilités.

Après, c’est sûr, je pense que c’est pénible de bien le vivre si on ne l’a pas pleinement choisi. C’est le cas de n’importe quel métier, non ? Il m’est déjà arrivé de discuter avec des jeunes régisseurs se projetant dans les difficultés d’une organisation de vie personnelle au milieu de tout cela. C’est un sentiment légitime et la manière de le gérer est propre à chacun.

Pour ma part, je suis maman donc oui, je ne vais pas te mentir… Parfois, c’est sacrément la course mais j’aime ce que je fais. Cela me rend heureuse alors je tends à croire que cela doit profiter à mon fils aussi malgré une drôle de vie parfois… (rires) Alors ce n’est peut-être pas la définition de la mère parfaite mais si par-là, j’ai pu lui inculquer pour la suite quelques valeurs comme la passion, la foi, l’amour d’un travail… Quelque part, je serai contente…

« Elle est où la machine à café ? » :) …

C. M. > Je me bats contre les à priori et les rétrogrades qui ont une vision disons « limitée » du métier de régisseur. Les régisseurs ne s’occupent pas uniquement du café et des camions. On se doit d’avant tout comprendre ce que le réalisateur veut faire en tenant compte d’un certain cahier des charges de la production et des institutions. Donner un cadre, une zone de jeu, de la souplesse et de la flexibilité.

Chaque film est singulier. Même si une partie de nos tâches logistiques est récurrente, on ne le fait jamais de la même manière. On est caméléon, avec un metteur en scène, avec un type de film…

On n’est pas que des « gareurs » de camions. Nous sommes aussi des techniciens avec une force de proposition.

Prendre une décision sur un film, c’est pousser la première pièce d’une rangée de dominos et faire qu’une pièce tombe droite dans chacun des départements de l’équipe. Si l’une des pièces échappe à la ligne droite, il faut trouver des solutions, faire des propositions dans l’esprit du réalisateur en tenant compte des aléas techniques, des prérogatives des institutions, de la production, des coûts, etc !

Comment peut-on alors prétendre que nous faisons du « tout-logistique » ?

Évidemment qu’il s’agit de faire coller une logistique à l’artistique donc c’est parfaitement faux de penser que la régie n’est pas en lien avec les métiers de la création.
Un jour, un directeur de production me présente au réalisateur avec lequel je vais travailler et celui-ci lui répond : « Mais pourquoi faire ? Je ne suis pas concerné par les camions »… Je lui ai alors demandé de me raconter son film. Il voulait tourner en décor naturel, en activité, avec de « vrais » gens actifs sur les lieux… Voilà, j’avais compris comment j’allais devoir appréhender mon travail et ça n’allait pas être comme une régie en studio. (rires)
Il n’y avait absolument rien de méchant dans son discours, c’était juste tout à fait spontané et reflète donc une idée assez répandue. Chez beaucoup de gens… Ceci dit, ça l’est de moins en moins je trouve. Je continue de défendre cette image de la régie et lors d’une bonne préparation en étroite collaboration avec un premier mise en scène, chef op, chef déco et dir prod… On sent vraiment la différence.

J’ai déjà entendu : « Faire lire le scénario aux auxiliaires, pourquoi faire ? »… Ou des aberrations de ce genre ! Ça me rend dingue ! Bien sûr que mes auxiliaires savent de quoi on parle ! Il s’agit bien des techniciens :
– Qui sont les premiers à voir les comédiens en voiture le matin ?
– Qui accueillent des techniciens sur un décor en installation ?
– Qui bloquent une rue et expliquent aux riverains la scène qu’on est en train de tourner ?

Est-ce que cela ne demande pas une bonne connaissance du projet et une forme de sensibilité pour l’appréhender, le défendre ? On est là pour donner à l’équipe les clefs d’une zone de jeu dans laquelle elle va pouvoir réaliser les demandes qui ont été vues en prépa en laissant la flexibilité à toutes celles qui n’ont pas encore été faites… et qui arrivent bien sûr ! Pour ce faire, on « défend » le projet tous les jours et devant un grand nombre d’interlocuteurs. Heureusement qu’on sait de quoi en parle !

Un réalisateur ou un projet qui t’a particulièrement marqué dans ton apprentissage du métier ?

C. M. > Ce sont les réalisateurs qui m’ont conforté dans cette idée de mon travail. Un cinéma où j’ai ressenti l’impact artistique que nous pouvions exercer dans notre métier. Quand un film peut être si complet dans son « process » de création que le lien est très fort entre mon travail et le leur. J’ai eu la chance de travailler avec des metteurs en scène formidables… C’est difficile mais si je devais n’en citer que certains…

Christophe Honoré avec qui j’ai travaillé récemment car lors de notre collaboration, ce que j’explique plus haut, était clairement perceptible. Il a une forme d’exigence artistique absolue qui n’échappe à aucun département de l’équipe… Le mien, « itou »… et il le fait valoir.

Pierre Salvadori pour les mêmes raisons… et parce que faire un film à ses côtés est une fête ! Il aime les gens, ça se voit, on le sent quand on travaille avec lui et quand on voit ses films, ses personnages… J’avais ressenti la même chose, alors que je n’étais qu’auxiliaire, auprès de Cédric Klapisch.

David Oelhoffen aussi… ! Pour l’aventure humaine qu’a été la construction de notre projet ensemble… Un « brainstorming » fabuleux de ses principaux chefs de poste à l’heure où nous craignions de ne pas pouvoir mettre le film en boîte. Une satisfaction formidable lorsque tout est rendu possible par la collaboration de tous. Une très belle illustration de ce que nous venons d’évoquer.

Mais il y en a d’autres ! Chacun d’entre eux m’a fait grandir et m’a apporté quelque chose qui ne m’a jamais quitté depuis. Au-delà des metteurs en scène ou des films, j’ajouterais aussi que bon nombre de techniciens (directeurs de production, assistants mise en scène…) m’ont également beaucoup marqué dans un apprentissage de ce métier qui se nourrit de ses rencontres.Tu es une jeune maman. Comment s’est passé la grossesse et les premiers mois ?

C. M. > Il va avoir sept ans !!! Je ne suis plus ce qu’on appelle une jeune maman… (rires) Pour ma part, j’ai eu de la chance au moment de ma grossesse. J’ai pu travailler longtemps avec un directeur de production compréhensif… Enfin, lorsque je l’ai mis au courant ! (rires)

Ayant travaillé dans la production, j’ai toujours un peu gardé les deux casquettes. Alors quand mon état de baleine rendait complexe ma profession habituelle, j’ai pu passer derrière un bureau pour les derniers mois. Du coup, j’ai pu travailler jusqu’à sept mois et demi. Après, j’ai repris assez vite car j’en avais envie et que je le sentais.
Aujourd’hui, c’est rigolo car avec mon fils, nous partageons plus de choses au sujet de mon travail… Il ne sait pas trop ce que je fais, à part que je fais des films. (rires) Ça tombe bien, il veut devenir « raconteur d’histoires » plus tard. Peut-être qu’on bossera ensemble qui sait ?… Oh non ! Personne veut bosser avec sa mère. (rires)
Il vient sur les plateaux parfois… Il peut être amené à voir du pays… Il est, de fait, assez malléable. Et pis, « maman elle a des camions ». C’est plutôt cool. (rires)

J’ai assurément des horaires de travail pas très « mère au foyer » mais on sait se surpasser parfois. Il n’a pas été rare que j’aille à l’école à 8 heures alors que je rentrais tout juste d’un tournage en nuit (rires)… avec les yeux en diagonal pendant que j’écoutais, pleine d’émotion, mon fils et la chorale de sa classe. (rires)

Il est mon évidence, au-delà de tout. Même très fatiguée, joindre les deux bouts ne sera jamais pénible. On se refait un entretien lorsqu’il sera adolescent si tu veux… (rires)

D’après un rapport du CNC de février 2017, il y a 73,1% d’hommes pour 26,9% de femmes dans ce métier.

C. M. > J’ignorais ces chiffres ! Quand j’ai commencé à travailler dans le cinéma, je voyais des femmes se « masculiniser ». Sûrement parce qu’elles avaient eu du mal à s’imposer.

Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas même s’il reste des stigmates d’une éducation, d’une culture tenace, qui rend, au sens large, notre parité complexe et encore à travailler… Mais c’est notre monde qui est comme ça, pas le cinéma en particulier.
À la vie comme au travail, une femme écopera toujours de retours qui ne seraient pas faits à un homme… mais finalement, les hommes aussi.

Alors faut savoir, non pas se jouer des codes, mais bien jouer « avec »…

Pour ma part, l’intégral « Vieux Campeur VS Quechua » du régisseur n’a jamais été mon truc… (rires) Sauf si les conditions de tournage l’imposent. ;-) Je travaille maquillée, je porte quasi tout le temps des talons… (bah ouais…) ! Porter du rouge à lèvres ne m’a jamais empêché de porter une caisse… (rires) et je ne vais pas me changer !

Une sensibilité féminine peut être appréciée plus particulièrement par un metteur en scène ou vis-à-vis d’un projet, etc. Mais pour moi, la sensibilité n’est pas « genrée » donc je ne suis pas favorable à dire « une femme convient plus à » ou « un homme convient plus à ». Il s’agit bien là de choisir une personnalité… Qu’elle soit en cravate ou en robe… Qu’importe ! (rires)

Le choix de ton régisseur adjoint ?

C. M. > Forcément, un homme, toujours ! Ma forme de parité à moi. Et j’y tiens. Un aspect pluriel aux yeux de l’équipe. Il amène sa personnalité, j’amène la mienne… et ainsi, nous constituons un panel complet.

Quelles sont les prérogatives de ce garçon régisseur adjoint ? :)

C. M. > Drôle, beau, intelligent. (rires) C’est un bras droit, un soutien… Question de mayonnaise, faut trouver le binôme parfait… Une cohésion… Un couple par intermittence. (rires) On rit et on a nos coups durs ensemble pendant ce temps donné. Ça peut être les montagnes russes émotionnelles un tournage… C’est important de former un binôme fort.

Ses prérogatives ? Mon adjoint gère les loges et les lieux dédiés à la technique. Pour ma part, les décors sont vraiment une partie que je m’attribue pleinement. La gestion de ces derniers m’est essentielle. En connaître tous les rouages afin de connaître les limites de la zone de jeu de l’équipe et donc des possibles quand on y sera pour de vrai.
Lors des recherches de mon adjoint, ses informations complètent les miennes et à nous deux, nous obtenons tous les tenants et aboutissants d’un décor.

On peut parler du régisseur de plateau ?

C. M. > Bien sûr. Et j’y suis favorable, systématiquement. En France, ce n’est pas toujours une évidence contrairement aux anglo-saxons. Selon les projets (et les possibilités financières lors de la constitution de l’équipe), c’est un deuxième adjoint ou un auxiliaire expérimenté. Il veille au confort de tous, comédiens comme techniciens, il est ma voix en mon absence et me relaie tout, me fait appeler au besoin… Il nous fait continuellement les annonces… même si j’ai toujours les deux canaux du talkie avec moi (la 1 et la 2 !). (rires)

Pour ma part, je préfère être sur le plateau le plus possible. J’entends par là, en extérieur, quand il y a de nombreux paramètres à gérer. Par exemple, pour moi, les blocages ne doivent pas être gérés par le premier assistant mais bien par la régie. Ça demande trop d’infos, à passer, à prendre… et ça demande de travailler dans un temps qui n’est pas celui de la mise en scène.
On a tous vécu le moteur envoyé avant le blocage ? On a tous vécu les concerts de klaxons parce que le premier passait au plan suivant en oubliant de libérer le pauvre auxiliaire qui manque de se faire renverser ? (rires) Bah voilà… Vous ne pouvez pas être partout… Mais nous, on y est… partout (rires) et ça, ça demande une communication dédiée, c’est évident.

Oreillette ou pas pour le talkie-walkie ?

C. M. > Oreillette bien sûr… Un plateau se doit d’être silencieux, une régie discrète… Et si vous saviez tout ce qu’on se dit… !

On attribue parfois une certaine culture du « non » de la part des régisseurs !?

C. M. > Oui c’est vrai… On dit ça… Je ne suis pas sûre que cela existe tant que ça ! Perso, ce n’est pas mon truc… Je suis plutôt à dire « oui » ou « oui mais » ou « non, ça ne va pas être possible et si on faisait ça plutôt ? » On en revient donc à la discussion ci-dessus où le régisseur est une force de proposition artistique et pas un empêchement.

Le meilleur conseil qu’on t’ait donné ?

C. M. > Il y en a plein ! J’apprends encore et toujours dans ce métier. Les conseils sont nombreux et peuvent venir de tous ou peuvent être des exemples que tu vois se jouer et qui orientent tes propres manières de faire par la suite. Difficile de choisir !

Garder la tête froide… à priori, et malgré une grande implication dans ce que l’on fait, on ne sauve pas des vies.

Pour les plus jeunes qui débutent : changer de chaussures tous les jours. (rires) Aucune « Fashion Police » là-dedans… Même si ce n’est pas pour me déplaire. (rires) Juste le podomètre d’un régisseur, ça fait peur ! Tu fais facilement 15 km par jour, voire plus… C’est un bon conseil si tu veux toujours être debout en semaine deux du plan de travail. ;-)

Ta première qualité et le défaut sur lequel tu travailles encore ?

C. M. > Rhooo, je suis nulle à ce jeu… Surtout pour les qualités (rires). C’est hyper dur de parler de soi ! Un réalisateur a dit un jour que ma première qualité était « la délicatesse » et que je n’hésitais jamais à y aller « alors qu’il aurait été tellement plus évident de dire non »… Ça m’avait beaucoup touchée… Je lui vole le compliment en guise de réponse du coup.

Je m’investis beaucoup et j’y mets beaucoup d’ »affect ». Quand on aime un film et/ou un réalisateur et/ou une équipe… Ça développe l’envie de se dépasser.
Je fais très attention à protéger les intérêts de chacun. Un tournage, ça peut être vécu comme un raz-de-marée. J’aime travailler de concert avec les gens qui vont connaître notre équipe, notre plateau. Je n’aime pas les équipes qui ne font pas grand cas de ce qui les entourent.
Par exemple, ce n’est pas un décor, c’est « la maison de quelqu’un »… « Mais si, si, je t’assure… Il vit dedans même… ». On ne peut pas travailler de la même manière en décor naturel et dans un studio. J’ai à coeur de protéger beaucoup cela.

En revanche, et même si j’ai une pleine confiance en mon équipe, j’ai encore du mal à déléguer. Je fourre mon nez partout et j’ai des côtés maniaques vraiment embêtants ! Mais je me soigne… :)
Trop « d’affect », ça peut être un défaut aussi… Je pense être trop sensible. Donc disons que je travaille encore à retirer les « trop » ou « très » de devant les mots.

Y a-t-il un genre, un style de régisseur ?

C. M. > On est tous différents. Le style ne donne pas une définition d’une bonne ou mauvaise régie mais simplement d’une personne qui convient à une alchimie d’équipe qu’on tente d’obtenir au moment de sa constitution. On ne convient pas à tous les films et il ne convient pas de « se changer » pour que cela soit le cas… Et ça, ça vaut pour n’importe qui.

Pour ma part, je suis plutôt discrète mais toujours présente. Sur le plateau, je suis souvent proche du metteur en scène, du premier et du chef opérateur. Je suis très liée à mes régisseurs, la plupart sont des ami(e)s en plus d’être mes collaborateurs directs. Nous sommes bienveillants les uns envers les autres, on a un humour décapant et on est, sans contexte, les maîtres de la « playlist » et de la piste de danse… (rires)
Je suis assez instinctive aussi… Je regarde beaucoup mes collaborateurs et apprends vite à les connaître. Le jeu étant d’avoir répondu aux demandes avant qu’elles aient été formulées.
Playlist ? Tu écoutes quoi quand tu as un gros coup dur au boulot ?

C. M. > J’écoute énormément de musique, tout le temps et de tous les styles. J’ai même souvent une « playlist » par film !
Je ne suis pas quelqu’un qui crie beaucoup. Du coup, en cas de coup dur, j’écoute pas mal de musiques qui crient à ma place.

Sans transition, tu as rejoint l’AFR en 2011. À quelles fins ?

C. M. > Pour les échanges avec les autres membres, pour continuer d’apprendre, autrement. Une plateforme de communication sur notre travail, ses évolutions, ce vers quoi nous pourrions tendre, des échanges d’expériences face à des situations pour lesquelles, nous aurions besoin de conseils, les échanges avec les acteurs locaux, les aspects législatifs de notre profession, etc. J’ai d’ailleurs rejoint le bureau tout récemment et aspire à m’y investir donc d’avantage.

Que penses-tu d’« Agate » ?
(NDLR : AGATE, un guichet permettant le dépôt et le traitement en ligne des demandes d’autorisations de tournage et de stationnement, à Paris, depuis le 1er janvier 2017)

C. M. > Honnêtement, au début, j’avoue avoir été perplexe. Je craignais, au profit du logiciel, de ne plus pouvoir « parler » avec nos interlocuteurs habituels, comme avant… Chaque film étant singulier, je ne voyais pas comment j’allais le faire « rentrer dans des cases » sur une interface ; par définition, un film, ça rentre pas dans des cases… En revanche, j’ai toujours compris le besoin de gérer les éléments de facturation entre la Ville et les sociétés de production et liés à nos demandes.
Et puis, finalement, voyant la pratique de ces dernières années et maintenant que nous nous sommes tous habitués aux divers changements, mon travail n’a pas énormément changé. Je suis toujours en lien avec une personne physique à la Mission Cinéma, en particulier pour des scènes compliquées… et les décors « plus simples » se rentrent « simplement ».

Donc, ce qui a réellement changé à mon sens, c’est la gestion du temps de préparation. Rentrer un film sur AGATE, ça prend énormément de temps. Quand tu peux avoir deux adjoints, l’un doit s’y consacrer. Sinon, c’est pour ta pomme ;-) ou celle de ton seul et unique adjoint. :-) et c’est autant de temps que tu ne peux pas consacrer à autre chose.

« Comme avant quand tu préparais des dossiers de demandes d’autorisation ? », me diras-tu ? Bah non. Parce que ces mêmes dossiers (plans, annexes…), on a toujours besoin de les faire et pas que pour les adjoindre à « Agate ».
Donc à l’heure où les prépas se raccourcissent et où il est très fréquent de tarder avant d’arrêter des prises de décisions, il ne faut pas négliger ce temps de travail de l’équipe régie et le temps d’étude et de réponse de la Mission Cinéma.

Ça, c’est une notion que les équipes de production et de mise en scène doivent garder en tête pour la bonne marche du tout. À Paris en tout cas : quand on commence la préparation, on doit déjà avoir repéré les décors majeurs et on ne doit pas négliger également l’importance des études en pré-préparation lorsque les décors semblent complexes.Que penses-tu d’Ecoprod ?

C. M. > Penser écologie et tournages… Il faut ! Ça urge ! Je n’ai pas encore été une élève parfaite à ce sujet mais on le garde en tête avec mon équipe régie et on s’améliore de film en film. À notre niveau. Avec nos idées. Les conseils à ce sujet sont toujours les bienvenus.
Le travail est vaste ! Notre chaîne de travail comprend de nombreux intervenants, les réunir et trouver des solutions pour agir tous ensemble, c’est important.

Ta relation avec le 1er assistant réalisateur ?

C. M. > Très liée au premier assistant, évidemment. Pour tout ce que je t’ai dit plus haut. L’artistique, les décors, le champ des possibles et les prérogatives de la production ou « Comment faire rentrer un rond dans un carré » ! (rires)
C’est mon partenaire. Et quand ce binôme fonctionne bien, sur le plateau, ça roule sans commune mesure. Nous sommes très proches en préparation. Nos missions font qu’on se voit moins en phase de tournage. On peut être amené à beaucoup se parler comme se comprendre au premier coup d’oeil, et ça, c’est grâce à une étroite collaboration au préalable. On anticipe et avance ensemble.

C’est important de ne pas négliger que ces deux postes sont des interfaces de travail complémentaires et égalitaires. Nous avons le même salaire et niveau de responsabilité.

Lors d’une collaboration avec un assistant réalisateur, est-ce que tu arrives à « sentir » s’il a fait de la régie avant ?

C. M. > Oui, absolument, je le sens ! Il sait alors ce qu’implique ce qui t’est demandé… sous toutes ces formes. Un régisseur doit souvent composer avec une sacrée charge mentale, alors quand un premier connaît la profession, il sait que la nouvelle demande sur un dossier ne concerne pas qu’un seul dossier ! (rires) Mais qu’elle a une résonance sur plusieurs autres au sein d’une journée déjà très chargée ! (rires) Alors la demande n’est pas faite de la même manière…
Il en découle alors une compréhension plus juste, plus complète. Souvent du respect. Il sait que tu n’as dormi que 4 heures !

Et ta relation avec le directeur de production ?

C. M. > Très très liée ! Directeur de production, régisseur général, c’est souvent un binôme de longue date ! Mon histoire avec Antoine Théron le prouve. ;-) On n’a presque plus besoin de se parler pour se dire les choses. Le régisseur général a une grosse responsabilité d’ordre financier aussi. La régie, ça coûte cher ! On travaille donc souvent à beaucoup préparer ces aspects et à réagir ensemble quand cela est nécessaire.

Comment tu entretiens le réseau ? Trouver du travail ?

C. M. > J’ai la chance de travailler avec des gens très fidèles. Donc souvent, cela se fait naturellement… Pourvu que ça dure, je croise les doigts…

« Un film, une politique » ? comme dirait Pierre Delaunay, directeur de production (Entretien ARA de novembre 2016)

C. M. > La régie, c’est un peu de technique… mais tout le reste, c’est de l’humain ! Dans une même journée, tu gères des choses avec des propriétaires de décors, leurs voisins, des techniciens de ton équipe, des comédiens, des passants dans la rue, des acteurs politiques, des représentants des forces de l’ordre… Des personnes de tous bords, dans tous les domaines et de tous les côtés !

Ton travail est de lier le tout donc faut savoir évoluer dans tous les mondes… Encore une fois, être caméléon, faire AU mieux et LE mieux pour chacun. C’est drôle parfois comme tu peux passer d’interlocuteur en interlocuteur en un minimum de temps. Il faut être multi-facettes. Tu ne joues pas un rôle mais tu dois changer de costumes plusieurs fois par jour… et ça non plus, aucun de tes publics ne le sait… J’aime beaucoup cela, cela participe de l’omniscience du film… Oui, il y a de la politique !

La transmission du savoir ?

C. M. > J’interviens à la Maison du Film au sein d’une formation pour ASSISTANT MISE EN SCENE depuis plusieurs années maintenant. J’adore ça et je trouve que c’est très important. La Maison du Film m’a proposé de faire avec eux, cette année, leur première formation, je crois, dédiée au métier de RÉGISSEUR ; nous sommes en train de travailler à cela. (Coming soon – Printemps 2019)

Sinon et dans la même optique, je suis très fidèle avec mes auxiliaires (et ils me le rendent au centuple). Certains d’entre eux, je les ai connus stagiaires conventionnés, formés, gardés en assistants pendant plusieurs années et poussés à devenir adjoint ou général… Un chef de poste doit aussi par moment pousser ses assistants à ne plus l’être… (rires) Même si ça peut être dur de perdre un pilier de l’équipe (et c’est souvent le cas !).

C’est important de transmettre. J’ai appris de mes pairs, de ceux qui ont bien voulu me donner une chance, me transmettre leurs connaissances et manières d’appréhender ce métier. Je tente modestement de rendre la pareille…Qu’envisages-tu à l’avenir ?

C. M. > Continuer ! Et je m’intéresse aussi à la production… Un peu…

Ton conseil à celles et ceux qui veulent se lancer dans ce métier ?

C. M. > Essayez ! Si ça marche et que vous vous y sentez bien, ce métier vous apportera beaucoup. Et si ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave… Ce qui aura été appris dans ce métier servira partout et tout le temps.

Le film de rêve que tu aimerais faire ?

C. M. > Rhooo… C’est reparti pour les questions pièges… (rires) Un film…
… avec un réalisateur que j’adore !
… dont l’histoire serait géniale (mais si je l’adore, cela va de soi).
… avec mes meilleurs amis et collaborateurs de la profession. Toutes les belles personnes rencontrées au fur et à mesure de ma petite et modeste carrière, réunies au sein d’une seule et même équipe.
… avec des « challenges » à relever, des « challenges » de dingues, des montagnes à déplacer et des lunes à décrocher !
… le tout au soleil. Bien entendu… (rires)

Tu as une baguette magique ! Ton premier souhait ?

C. M. > Une meilleure reconnaissance de notre profession, dans l’absolu. De son importance. Au même titre que les autres départements.

En effet, il y a une certaine frustration liée au manque de compréhension parfois de certains métiers par rapport au nôtre. Ça vient en particulier du fait encore une fois que, sur le papier, nous ne faisons pas un métier « artistique ».

Un principe nécessaire d’égalité pour dépasser le corporatisme. C’est la définition même du travail d’équipe.

Clotilde, une très belle année à toi et tes proches. Merci du partage avec nos lecteurs. <3

C. M. > Merci à vous et une belle année à tous.


AFR Clotilde Martin
IMDB Clotilde Martin
Crédit image à la une : Jean-Louis Fernandez

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